Lux in Tenebris / 2015-2020

Lux in tenebris : une immersion intime en mer

     Quand j’avais cinq ans, j’ai évité la noyade de justesse. Je suis presque mort. Quand on se noie, on éprouve rapidement cet instant définitif connu par tous ceux qui ont frôlé la mort : la vision se voile, on abandonne et on s’évanouit dans les ténèbres.

     Des années plus tard, j’ai apprivoisé cette eau qui a failli me faire disparaître, au point de lui dédier un temps déraisonnable et d’aimer m’y trouver quand tout le monde la craint : dans les eaux sombres de la nuit. Pendant de longues minutes, je flottais sur le dos en fixant les ténèbres, que je défiais en écoutant mes respirations ; dans cette eau qui avait failli me tuer, je ne mourais jamais. Ni elle ni la nuit ne pouvaient m’avoir. Je me sentais vivant, plus qu’à n’importe quel autre moment de la journée. J’ai fait ça pendant des années.

     En 2015, une série de hasards singuliers m’a conduit sur un cargo de marine marchande. J’y ai vécu des parenthèses étranges, des intervalles sans repère connu, souvent inconfortables, parfois dangereuses. Sur l’océan, c’est la nuit que l’intranquillité est totale : dans le noir le plus profond, lorsque le temps est couvert et le bateau complètement éteint, la mer devient invisible et encore plus abyssale. Les marins n’aiment pas la nuit. On a l’impression d’y manquer d’air. Alors, lorsqu’une lueur indéterminée montre l’horizon, la vie revient dans le néant. à chacune de ces apparitions, je me revoyais ouvrir les yeux d’enfant, ébloui par ces secondes éclatantes, entouré par ceux qui me veillaient dans la lumière. Grisé par cette sensation, et voulant défier l’eau en grand format, j’ai enchaîné cinq voyages. En ont résulté une série de photographies et de vidéos qui embarquent le spectateur dans un voyage maritime inédit.

     Dans ce travail cathartique, j’ai trouvé ce dont j’avais besoin : je ne flotte plus la nuit pour y défier les ténèbres. Je me sens vivant du réveil au coucher.

Vincent Jendly

 

Lux in tenebris : an intimate immersion at sea

     When I was five, I drowned. I’m almost dead. When you drown, you quickly experience this definitive moment known to all those who have come close to death : the vision is veiled, you give up and you pass out in darkness.

     Years later, I tamed the water, to the point of dedicating an unreasonable amount of time to it and, often passing for an original, to like being there when everyone feared it : in the dark waters of the night. For long minutes, I floated calmly on my back, staring at the darkness, which I challenged, listening to my breaths; in this water that had almost killed me, I never died. Neither she nor the night could have me. I felt alive, more than at any other time of the day. I’ve been doing this for years.
     A series of singular chances led me on a first cargo ship, and I followed the journeys. Strange parentheses, intervals with no known marks, often uncomfortable, sometimes dangerous. It is at night that the contrary is total : in the deepest dark, when the weather is cloudy and the ship completely extinguished, nothing distinguishes it from the water. The sea becomes invisible and even more abyssal. Sailors don’t like the night; it feels like there’s no air. Light at sea is like life in nothingness. When indefinite gleams showed me the horizon, I immediately saw those bright seconds, when I opened my eyes after my drowning, and those watching over me in the light. Thrilled by this feeling, and wanting to challenge the water in large format, I made five trips. The result is a series of photographs and videos that take the viewer on an unprecedented maritime journey.

     In this cathartic work, I found what I needed : I no longer float at night to challenge the darkness. I feel alive from waking to bedtime.

Vincent Jendly